jeudi 21 novembre 2013

Je suis un escroc

Cet été, un article paru sur Internet a fait un peu de buzz. Je l'avais gardé de côté et je l'ai lu à l'occasion d'un tri de bookmarks.

L'article se nomme On the Phenomenon of Bullshit Jobs. Il discute des emplois qu'on pourrait poliment qualifier de dénués de sens. Ça me fait un peu gamberger depuis que je l'ai lu… Dans la suite de l'article, pardonnez-moi mais j'utiliserai le terme bullshit job car en plus de le trouver sympa j'aime bien son côté percutant.

Travailler… pour quoi ?

D'après l'auteur, notre outil de production a atteint un tel potentiel d'automatisation que nous devrions n'avoir à travailler qu'une dizaine d'heures par semaine. C'est ce que pensais l'économiste Keynes dans les années 30. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais ce n'est pas le cas. Un travail a temps plein, dans la tête des gens, DOIT prendre entre 35 et 40 heures par semaine.

Dans cette optique, à quoi attache-t-on ces 25 à 30 heures par semaines à travailler si elles ne sont pas nécessaires ? À des bullshit jobs !

Si 10 heures de travail sur 40 sont utiles à la société, on peut considérer 75% de l'emploi en général ne lui apporte rien.

Qui est un titulaire d'un bullshit job ? Simple : une bonne partie des services, une bonne partie de l'industrie des bien complètement inutile ou à faible valeur ajoutée. Tout ce qui est gestion de l'information et industrie du loisir par exemple.

Exercez-vous un bullshit job ? Simple, est-ce que le monde s'arrète de tourner si vous vous mettez en grève ? Pour ma part (développement informatique), mon projet prendra un peu de retard. Ma boite devra peut-être payer des pénalités dans le pire des cas. Il n'y aura pas mort d'homme, loin de là. C'est invisible aux yeux de la société. Est-ce que le monde s'arrète de tourner si le chauffeur de train se met en grève ? Je n'irait pas jusque là mais au moins, la société le resent directement.

J'exerce donc un bullshit job. Cool.

Mais pourquoi on en crée si ça ne sert à rien

Pour l'auteur de l'article, les raisons sont politique et morale. On ne peut pas se permettre que les gens aient trop de temps libre pour réfléchir, cultiver de la marijuana et s'envoyer en l'air (prenez le temps de visualiser le truc, ça vous détendra…).

J'ai plutôt envie de dire que ça participe à la logique d'auto génération du pognon. D'une part, il y a des emplois qui ne servent à rien (ou très peu) mais pour lesquels ceux qui les exercent gagnent des montaaaaagnes de fric. Cela peut aller du patron d'une boite énorme qui pointe aux AG et donne des stratégies fumeuses jusqu'à un informaticien zélé payé un bon paquet d'euros pour pondre 3 pages web qui ne seront certainement jamais installées. D'autre part les bullshit jobs on besoin d'autres bullshit jobs pour exister.

Comme je travaille beaucoup, je me fais livrer des repas au travail, je commande des trucs sur amazon pour me changer les idées, je dépense énormément en loisir car mon quotidien manque tellement d'actions concrètes que je ressent un le besoin de me divertir. Tout ça c'est aussi du bullshit jobs car ils facilitent ma vie que je passe à exercer un bullshit jobs.

Cette situation à le mérite de permettre d'entretenir une demande commerciale. Le manque de sens ressenti pousse à consommer du loisir pour éviter d'y penser. Comme ces jobs permettent parfois de gagner des sommes coquettes, les prix peuvent rester élevés.

Il y a toujours des gens pour payer un loyer à 800 €, car ces jobs utiles et bien payés représentent une bonne part du travail rémunéré. Alors si toi aussi tu veux te loger, tu prends un bullshit job.

Dans le cas contraire, si on décidait de mettre 75% de la population au chommage touchant le RSA, je suis certains que les loyers baisseront.

Cela me rappelle une expliquation qu'une personne m'a donnée sur la situation en Gouadeloupe, où tout est 20% plus cher qu'en métropole (en gros). Pour lui la raison est que beaucoup de gens saisissent l'occasion de travailler aux Antilles avec un gros salaire (dans le public comme dans le privée, il y a souvent une prime pour se déplacer là-bas), ce qui gonfle artificiellement la demande et le niveau de prix.

Mais c'est du vol ! Ça ne vous fait rien ?

Oui, on peut considérer que ces 75% sont un peu des escrocs et on peut se demander comment est-il possible de travailler ainsi sans état d'âme ?

Pour moi c'est parfois dur (souvent). Je cherche du sens là où il n'y en a pas et c'est frustrant.

"Faire et défaire, c'est travailler" m'a-t-on dit. Je reste sans voix.

Je ne suis pas dans la tête des gens. À mon avis, la pensée collective basée sur un ramassis de conneries sur la valeur travail, le chômeur fénéant, la peur de l'exclusion est scarifiée au plus profond de nos cerveaux.

Et les 25 %

C'est le plus grave : les 25 % restant, les gens qui agissent de façon utile pour faire tourner le système, ne sont pas valorisés. Qui est reconnaissant face au boulanger qui vous permet de vous gaver de pain bio à 7h du mat ? Qui est reconnaissant face au le chauffeur de train qui vous achemine au quotidien vers votre bullshit job ? Qui est reconnaissant face aux personnes qui font du volontariat dans une association ? Qui est reconnaissant face à la mère au foyer qui prend en charge elle même l'éducation et parfois l'instruction de ses enfants pour que ceci puissent changer le monde (quand son mari est parti faire son bullshit job) ?

C'est leur travail dites-vous ? Ah, et le votre c'est quoi ?

(bon les médecins sont un cas particulier : laissez les de côtés, ils désservent ma thèse)